OPINION JURIDIQUE SUR LA RÉPRESSION DES MUTILATIONS GÉNITALES FÉMININES (MGF) AU MALI
Au Mali, les mutilations génitales féminines (MGF) représentent une pratique d’une ampleur particulièrement préoccupante. En effet, cette pratique reste largement répandue, avec un taux de prévalence dépassant 80%1. Selon l’enquête démographique et de santé réalisée par les autorités maliennes en 2012-2013, 91% des femmes maliennes ont subi une forme de MGF. Il s’agit d’un chiffre qui souligne l’étendue de cette pratique traditionnelle néfaste. Cette prévalence place le Mali parmi les pays qui pratiquent le plus les MGF en Afrique de l’Ouest, faisant du pays un cas singulier dans la région2.
Les MGF entraînent de graves conséquences physiques, notamment des douleurs intenses, des infections chroniques, des complications obstétricales et un risque accru de transmission du VIH. Elles laissent également des séquelles psychologiques profondes, pouvant aller jusqu’à la dépression, au stress post-traumatique ou au décès des victimes.
En Afrique de l’Ouest, plusieurs pays ont adopté des lois spécifiques interdisant et réprimant les MGF. C’est notamment le cas du Burkina Faso, du Sénégal, du Niger, de la Guinée et du Togo, qui ont intégré cette pratique dans leurs législations nationales en la qualifiant d’infraction pénale. Le Mali, en revanche, ne s'est pas encore doté d’une législation pénale criminalisant explicitement les MGF, bien que des projets de loi aient été discutés depuis 2002 sans aboutir à ce jour. Cette absence de cadre juridique dédié contraste avec l’engagement affiché des autorités maliennes dans la lutte contre les MGF, notamment leur participation à des programmes internationaux et l’adoption de plans d’action nationaux.
Stratégie de poursuite des MGF au niveau national
L'article 321-11 du Code pénal, réprimant les coups et blessures volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, constitue le fondement le plus direct. L’OMS définit les MGF comme "l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme, ou à y pratiquer des lésions, pour des raisons non médicales". Ainsi les MGF, par leur nature même, impliquent une altération délibérée et irréversible de l'intégrité anatomique et fonctionnelle de la victime, répondant parfaitement aux éléments constitutifs de cette infraction. La mutilation génitale, pratiquée sans consentement et entraînant des séquelles physiques et psychologiques permanentes, tombe indéniablement sous le coup de cet article, passible d'une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de réclusion.
Le Code des Personnes et de la Famille malien offre également un fondement juridique essentiel pour les MGF. L'article 4 du Code établit le principe de l’inviolabilité du corps humain, stipulant que “chacun a droit au respect de son corps”. Les MGF, qui impliquent une intervention non consentie et irréversible sur l'intégrité corporelle des jeunes filles, constituent une violation manifeste de ce principe fondamental. Cette disposition crée une obligation positive de protection de l’intégrité physique qui s’impose tant aux particuliers qu’à l'État.
1 Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Enquête menée sur le Mali en application de l’article 8 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Rapport du Comité, 2019, p. 4 ; Voir également https://www.cgra.be/fr/infos-pays/les-mutilations- genitales-feminines-mgf
2 Selon les dernières données disponibles pour chaque pays, voici la prévalence des MGF dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest : Mali, 88.6% ; Guinée, 94.5% ; Sierra Leone, 83.0% ; Burkina Faso, 56.1% ; Gambie, 72.6% ; Sénégal, 20.1% ; Côte d'Ivoire, 36.7%.
L'article 5 du même Code vient renforcer cette protection en limitant strictement les atteintes à l'intégrité corporelle aux seules nécessités médicales, et uniquement avec le consentement libre et éclairé de la personne concernée. Les MGF, pratiquées sans aucune justification médicale et sur des mineures incapables de donner un consentement valable, violent doublement ces dispositions. L’absence de bénéfice thérapeutique et le caractère ritualisé de ces pratiques les placent en contradiction absolue avec l’exigence de nécessité médicale posée par le législateur malien.
Le Code prévoit également des mécanismes de protection spécifiques pour les mineurs à l’article 577, qui autorise le juge à intervenir lorsque la santé ou la sécurité d'un enfant est menacée. Cette disposition offre aux autorités judiciaires un instrument juridique puissant pour protéger les jeunes filles à risque de subir des MGF. Le juge des tutelles pourrait, sur le fondement de cet article, ordonner des mesures de protection urgentes, y compris le placement temporaire de l'enfant ou l'éloignement du milieu familial à risque. Ces différentes dispositions du Code des Personnes et de la Famille, bien que n'étant pas spécifiquement conçues pour lutter contre les MGF, offrent ainsi des leviers juridiques substantiels pour leur opposition devant les juridictions civiles et pour la protection des victimes potentielles.
Stratégie de poursuite des MGF au niveau international
Sur le plan international, le Mali a ratifié des instruments juridiques contraignants qui renforcent ses obligations en matière de lutte contre les MGF. En 1985, le Mali a ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), qui exige des États parties qu'ils prennent des mesures législatives et politiques pour éliminer les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des femmes. Plus spécifiquement, en 2005, le Mali a ratifié le Protocole de Maputo (Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes), dont l’article 5 oblige les États à interdire et condamner toutes les formes de pratiques néfastes qui affectent négativement les droits humains des femmes, y compris les MGF, et à prendre toutes les mesures législatives et autres pour éradiquer ces pratiques.
Le fondement de l’action en responsabilité réside dans la dénonciation d’une incohérence juridique : l'État ne peut simultanément ratifier des instruments imposant l’éradication des MGF et s'abstenir de se doter des outils législatifs indispensables pour y parvenir. Cette contradiction constitue en elle-même une faute de nature à engager sa responsabilité.
Malgré un cadre juridique national et international, les MGF persistent au Mali, nécessitant des mesures urgentes. Il est recommandé d’assurer une application rigoureuse du Code pénal en qualifiant systématiquement les MGF comme des coups et blessures volontaires, de former les acteur.ice.s judiciaires (magistrat.e.s, policier.ère.s, avocat.e.s) sur la qualification juridique, les enquêtes et la protection des victimes, et de mobiliser les mécanismes civils de protection pour prévenir les MGF, notamment par la saisine du juge des tutelles et des mesures d’éloignement pour les mineures menacées.
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